Bien que la collégialité universitaire soit souvent évoquée et célébrée, elle demeure souvent mal comprise. Or, loin d’être une simple « valeur » institutionnelle sans portée contraignante, elle constitue depuis le XIXe siècle un pilier structurel du fonctionnement des universités, au cœur même de leur mission d’intérêt public — un fait clairement rappelé par l’Avis n° 8 du Comité permanent de la liberté académique (COPLA), publié cet automne.
Historiquement liée au partage réel des pouvoirs décisionnels entre professeur·es (recherche, enseignement, allocation des ressources), la collégialité universitaire s’effrite depuis plusieurs années, fragilisée par l’emprise croissante de modèles managériaux empruntés au secteur privé et par la réduction progressive du rôle des instances délibératives.
C’est précisément pour clarifier la portée et les implications de ce principe fondamental de l’organisation des affaires universitaires — et rappeler qu’il est désormais protégé par la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire — que le COPLA propose une analyse approfondie de la question dans son dernier avis. Les faits essentiels suivants, tirés de l’avis du COPLA, résument la nécessité de réaffirmer concrètement la collégialité comme condition indispensable au bon fonctionnement des universités.
Table des matières
Fait essentiel n° 1 — La Loi sur la liberté académique protège la collégialité universitaire
Si la collégialité doit occuper une place centrale dans le fonctionnement des universités, ce n’est plus seulement en raison d’un idéal de gouvernance partagée : elle est désormais inscrite au cœur même du cadre juridique québécois. En effet, le préambule de la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire renvoie explicitement à la Recommandation de l’UNESCO de 1997, qui affirme que le plein exercice des libertés académiques suppose l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur. Or, cette autonomie ne peut exister sans un mode de gouvernance collégial : l’UNESCO indique à cet égard que « l’autogestion, la collégialité et une direction académique appropriée sont des éléments essentiels d’une véritable autonomie des établissements d’enseignement supérieur ».
Dans son avis, le COPLA rappelle que la collégialité universitaire est indispensable au fonctionnement du « double loquet » qui protège la liberté académique :
- l’autonomie institutionnelle, qui protège l’université des ingérences externes (politiques, économiques, idéologiques) ;
- la liberté académique individuelle, qui protège les professeur·es dans leurs activités d’enseignement, de recherche, de création et de prise de parole publique.
Sans un partage réel des pouvoirs décisionnels entre professeur·es — notamment en matière de recherche, d’enseignement et d’allocation des ressources — aucun de ces deux volets ne peut fonctionner pleinement.
En reconnaissant la liberté académique comme un droit individuel et une condition de la mission universitaire, le législateur québécois a indirectement réaffirmé la place structurante de la collégialité. Elle n’est plus qu’une pratique souhaitée : elle est devenue une exigence légale et fonctionnelle, nécessaire au bon exercice des activités universitaires.
Fait essentiel n° 2 — La collégialité universitaire exige un partage des pouvoirs décisionnels au sein de l’université
Alors que la Loi protège désormais la collégialité comme principe de gouvernance, l’Avis n° 8 rappelle qu’une dérive s’est installée dans plusieurs établissements : on multiplie les consultations… tout en retirant le pouvoir de décision aux instances délibératives garantes de la collégialité universitaire. Cette confusion des genres est au cœur de plusieurs tensions dans le monde universitaire québécois.
Cependant, le COPLA rappelle haut et fort que de la mise en place de simples consultations n’est pas suffisant pour respecter le partage des pouvoirs décisionnels inhérents à la collégialité universitaire.
Son Avis n° 8 est explicite : les décisions académiques — celles qui touchent à la recherche, à l’enseignement et à l’allocation des ressources — ne peuvent pas être centralisées entre les mains des directions. Toute structure qui se limite à « écouter » les professeur·es sans leur confier de véritable pouvoir décisionnel contrevient à la fois à l’esprit de la Loi et aux standards établis par l’UNESCO en matière de gouvernance universitaire.
Pour illustrer cette dérive, le COPLA rappelle plusieurs cas concrets où la collégialité a été affaiblie :
- des instances dont les décisions sont ignorées ou rétrogradées au statut d’avis non contraignants,
- des réformes institutionnelles qui ont retiré des pouvoirs académiques à des assemblées élues,
- des interventions gouvernementales contredisant un vote professoral clair (ex. l’affaire Denise Helly à l’INRS).
Ces exemples ne sont pas anecdotiques : ils montrent comment une gouvernance managériale peut vider de sa substance la participation démocratique des professeur·es dans la structure décisionnelle des universités.
Or — et la Recommandation de l’UNESCO est sans ambiguïté à cet égard — les professeur·es doivent élire la majorité des membres des instances académiques, et celles-ci doivent exercer un véritable pouvoir de décision, et non un rôle symbolique.
L’Avis du COPLA, de son côté, précise que toute instance responsable de décisions académiques doit :
- Être majoritairement composée de professeur·es ;
- Comporter des membres élus par les pairs lorsque la totalité des professeur·es concerné·es ne sont pas présent·es autour de la table.
Il s’agit d’un seuil minimal. En deçà : la collégialité devient une simple façade.
Cette clarification est essentielle, car de nombreuses universités ont pris la fâcheuse habitude d’aménager les règles de gouvernance de manière à réduire progressivement l’influence effective des instances professorales — souvent au nom de l’« efficacité » ou d’une logique de gouvernance inspirée du secteur privé.
Fait essentiel n° 3 — Le « noyau dur » des décisions devant être prises collégialement à l’université est très large
L’une des contributions de l’Avis n° 8 du COPLA consiste à relever une précision importante : les activités universitaires devant faire l’objet de décisions collégiales ne se limitent pas à un champ étroit et restreint, mais englobent un vaste ensemble de décisions universitaires qui touchent directement la mission d’intérêt public des universités.
Les articles 31 et 32 de la Recommandation de l’UNESCO, cités et analysés par le COPLA, sont explicites à cet effet : les programmes, l’enseignement, la recherche, les activités périuniversitaires, l’allocation des ressources et les autres activités connexes doivent relever de décisions collégiales, c’est-à-dire prises par les professeur·es concerné·es.
Le COPLA identifie sur cette base un « noyau dur » d’activités universitaires qui doivent faire l’objet de décisions collégiales, et non de simples consultations sans portée contraignante pour les dirigeant·es universitaires, notamment :
- Les grandes orientations de la recherche;
- Les grandes orientations de l’enseignement;
- L’allocation institutionnelle des ressources liées à la mission académique;
- Le recrutement professoral, lorsque confié aux assemblées de professeur·es;
- L’élection des dirigeant·es (recteur·trice, doyens, directions de département) lorsque prévue par les règles institutionnelles;
- Les éléments structurants des programmes.
Fait essentiel n° 4 — Les conventions collectives peuvent renforcer la collégialité universitaire au-delà du seuil établi dans la loi
Si la Loi sur la liberté académique protège désormais la collégialité au niveau institutionnel, l’Avis n° 8 insiste sur un second levier — tout aussi puissant, mais souvent sous-estimé : la négociation collective.
Autrement dit : les professeur·es ne sont pas uniquement tributaires du seuil minimal établi par la Loi sur la liberté académique en matière de collégialité universitaire. Elles et ils peuvent aussi la renforcer dans leurs conventions collectives, en codifiant des pratiques qui protègent leur rôle décisionnel et stabilisent les règles du jeu pour l’avenir.
Le COPLA met en lumière l’exemple de deux syndicats :
- Le Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval (SPUL)
Sa convention collective articule clairement la collégialité comme principe fondamental de la vie universitaire, qui implique que les professeures et les professeurs sont au cœur de la gouvernance de l’université et participent démocratiquement aux décisions concernant ce que doit être l’Université au moment présent ainsi que dans l’avenir. - Le Syndicat des professeures et professeurs de l’Université du Québec à Chicoutimi (SPPUQAC)
Sa convention collective énonce sans ambiguïté la reconnaissance de la collégialité comme principe fondamental de la vie universitaire, de la transparence et de la contribution des professeur·es à la vie universitaire et à la gouvernance de l’université.
Comme le COPLA l’a rappelé dans plusieurs des avis qu’il a publiés depuis sa mise sur pied : là où la Loi trace un plancher minimal, les conventions collectives permettent toujours d’aller plus loin et peuvent expliciter ce qui, autrement, demeure implicite.
Fait essentiel n° 5 — La collégialité universitaire doit respecter la liberté académique individuelle
L’Avis n° 8 insiste sur un point fondamental : la collégialité universitaire ne peut exister durablement que si elle protège à la fois le fonctionnement démocratique de la communauté et les droits individuels de chacun de ses membres. Autrement dit, la collégialité ne doit jamais devenir une forme de contrainte majoritaire qui étouffe l’exercice de la liberté académique individuelle des professeur·es.À titre d’exemple, une décision prise par une majorité de professeur·es ne pourrait pas empêcher le droit individuel de chaque professeur·e de critiquer les décisions des instances universitaires ou des dirigeant·es, de faire de la recherche sur les sujets de leur choix et de diffuser les résultats de cette recherche ou de donner les cours dont elles ou ils ont la charge, sous réserve des modalités générales du programme et du syllabus général de ces mêmes cours, de la manière qui leur semble la plus à même d’atteindre les objectifs du cours.
Pour assurer cet équilibre délicat, le COPLA consacre une partie de son Avis au rôle des présidences d’assemblée. Leur responsabilité est déterminante pour :
- assurer aux participant·es d’exprimer leur opinion en toute liberté, sans crainte de subir des représailles de la part du groupe ;
- assurer que les assemblées soient présidées d’une manière équitable et conforme au Code Morin ou au Guide des assemblées délibérantes ;
- prévenir certains dérapages qui pourraient limiter de manière indue la capacité de tout collègue de participer librement à la délibération ;
- rappeler à l’ordre les personnes lorsque se produisent des dérapages verbaux ou comportementaux et faire cesser le comportement répréhensible.
Conclusion
Au terme de l’analyse du COPLA dans son Avis n° 8, un constat s’impose : la collégialité universitaire n’est pas une étiquette ou une simple valeur caractérisant ce qui se fait au sein des universités, mais bien le socle démocratique sur lequel reposent nos universités. Si cette collégialité n’est pas incarnée concrètement dans des instances collectives chargées de délibérer sur les grandes orientations des universités et de ses composantes, ni l’autonomie institutionnelle ni la liberté académique individuelle ne peuvent exister véritablement.
La Loi sur la liberté académique confère désormais à la collégialité une portée légale explicite. En renvoyant à la Recommandation de l’UNESCO de 1997, elle établit un cadre clair : les décisions académiques doivent être prises par des instances représentatives, majoritairement composées de professeur·es, dotées d’un véritable pouvoir décisionnel et protégées contre les tentatives de centralisation administrative.
Chaque fois que le rôle de ces instances délibératives est affaibli, que les décisions sont centralisées entre les mains d’un petit groupe de dirigeant·es ou que de simples consultations remplacent le partage réel des pouvoirs décisionnels, c’est l’équilibre même de l’université — sa crédibilité, sa mission et sa capacité à servir le public — qui se trouve fragilisé.
Préserver la collégialité, c’est donc préserver l’intégrité de l’université. Cela exige des mécanismes représentatifs solides, des assemblées réellement souveraines, des présidences compétentes et un engagement renouvelé de la part de toute la communauté universitaire. À l’heure où les pressions externes et internes se multiplient, réaffirmer la collégialité universitaire est fondamental.
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