C’est avec consternation que la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) a pris connaissance des faits révélés le 15 avril 2021 par Mylène Moisan du Soleil au sujet des modalités d’une « Convention cadre de collaboration en matière de recherche » qui lie l’Administration du Port de Québec (APQ) et l’Université Laval.
Cet article nous apprend que par le biais de cette entente, l’Université s’engage à maintenir « en tout temps confidentielle la participation de l’APQ aux projets de recherche et à ne pas faire référence à la participation de l’Administration de quelque façon que ce soit sans l’accord écrit préalable de l’Administration ». La journaliste rapporte qu’au moins quatre projets impliquant une dizaine de personnes chercheuses ou professeur-e-s sont actuellement financés par l’APQ et soumis à cette entente de confidentialité.
L’article nous informe également que l’entente prévoit que les employés de l’APQ pourraient participer aux travaux de recherche comme s’ils étaient à l’emploi de l’Université Laval, mais sans que leur participation soit révélée au moment de la diffusion des résultats. De plus, Le Soleil a eu accès à des courriels attestant du fait que l’APQ s’ingèrerait dans le processus de recherche; elle « transmet ses attentes et ses préoccupations par rapport aux travaux en cours, ajoutant que des ajustements pourraient être proposés. »
Pour la FQPPU, ces révélations sont consternantes et extrêmement problématiques, et ce, pour diverses raisons.
D’apparentes entorses à l’éthique
Mener des recherches et diffuser des résultats sans révéler qui a contribué à leur financement est pour le moins préoccupant. Pour fournir un consentement éclairé, les personnes qui sont sollicitées pour participer à des recherches doivent détenir toutes les informations pertinentes pour appuyer leur décision d’y participer ou non. Le fait de ne pas leur révéler qui finance le projet pourrait nuire à leur capacité à fournir un consentement éclairé. Cela pourrait ainsi être contraire aux politiques d’éthique des conseils de la recherche fédéraux et des Fonds de recherche du Québec.
Par ailleurs, le dévoilement de la provenance du financement obtenu pour une recherche est aussi une exigence des revues savantes pour publier un article. La politique éditoriale de la prestigieuse revue Nature est explicite à cet effet et stipule qu’il est requis pour les personnes chercheuses de dévoiler tout lien avec une organisation susceptible de bénéficier financièrement de la publication. Elle insiste également sur le fait que le rôle de cette organisation dans la conceptualisation, le design, la collecte de données, l’analyse, la décision de publier et la rédaction du texte doit être révélé.
Une question de confiance envers la recherche
S’il est vrai que l’APQ et l’Université s’engagent sciemment à ne pas révéler la participation financière du Port dans les recherches, cela soulève également la question de la probité des résultats qui découleront de ces projets de recherche et de la valeur que la communauté scientifique et, plus largement, le public, pourra leur accorder.
Ces révélations contribuent malheureusement à entamer la confiance du public envers tout le système de recherche, alors que les maillages entre les universités et les entreprises sont ouvertement encouragés par les décideurs publics et qu’il ne semble pas y avoir de limite à ce qu’un bailleur de fonds peut exiger de la part d’une équipe de recherche. Dans un contexte où la parole experte, appuyée sur la science, est régulièrement remise en cause et où circulent abondamment les fausses nouvelles, il est extrêmement imprudent de la part d’une institution universitaire de s’engager dans une telle démarche.
Une violation de la liberté académique?
Ensuite, le fait que des employés de l’APQ pourraient s’impliquer dans les équipes de recherche, mais de façon masquée, soulève également de graves questions sur le plan de la liberté académique, qui protège, entre autres, le droit des professeur-e-s d’effectuer des recherches et d’en diffuser les résultats sans subir de contrainte.
Non seulement ce droit est-il protégé par les conventions collectives, mais l’Université Laval a aussi adopté, pas plus tard qu’en mars dernier, un Énoncé institutionnel sur la protection et la valorisation de la liberté d’expression. Celui-ci stipule que l’Université Laval « s’engage […] à protéger la libre circulation des idées ». Dans la foulée, la rectrice Sophie d’Amours a publié une lettre à la communauté intitulée « Protégeons la liberté académique » où elle s’exprimait en ces termes : « il nous apparaît incontournable de défendre haut et fort, avec une conviction sincère, le principe de liberté académique et les conditions d’exercice de la profession enseignante ».
Au cours des derniers mois, plusieurs rectrices et recteurs, dont Sophie d’Amours, ont affirmé publiquement que le gouvernement du Québec faisait fausse route lorsqu’il s’engageait à protéger la liberté académique par la voie législative. La responsabilité de protéger cette liberté, disent-ils, incombe aux directions des universités, qui non seulement seraient les mieux outillées pour garantir ces protections, mais y seraient aussi résolument engagées. Cela a été réitéré dans un article paru le 15 avril 2021 dans Affaires Universitaires, qui cite même l’Université Laval comme un exemple en la matière.
Il est permis d’émettre des doutes sur la sincérité de cet engagement à la lumière des faits qui sont aujourd’hui révélés. Pour la FQPPU, seule une loi adoptée par l’Assemblée nationale peut protéger adéquatement la liberté académique des universitaires québécois et garantir les conditions nécessaires à l’exercice des missions de recherche et d’enseignement qui incombent aux universités, mais surtout aux professeur-e-s et au personnel d’enseignement et de recherche.