Projet de loi 3 : mobilisation décisive pour la démocratie

Au moment où cet article paraît, le projet de loi 3 (Loi visant à améliorer la transparence, la gouvernance et le processus démocratique de diverses associations en milieu de travail) s’apprête à être adopté. Le gouvernement Legault avance sans ralentir, malgré une opposition large, multiple et ininterrompue. Le ministre Jean Boulet l’a répété : il « garde le cap » même après la manifestation nationale du 29 novembre, qui a rassemblé des dizaines de milliers de personnes dans les rues de Montréal. Cette volonté d’aller de l’avant, envers et contre tout, place le Québec devant un tournant politique majeur.

Car ce projet de loi n’est pas une pièce unique : il s’inscrit dans un ensemble cohérent de plusieurs réformes, toutes dénoncées pour leur caractère autoritaire. Le Barreau du Québec a même sonné l’alarme : les projets de loi 1 et 3 témoignent d’une « multiplication des dispositions de nature autoritaire » et risquent d’affaiblir les contre-pouvoirs essentiels à la santé démocratique du Québec. Le bâtonnier du Québec, Me Marcel Olivier Nadeau, n’évoque rien de moins qu’un risque de « dérive », alors que l’État concentre progressivement des pouvoirs qui limitent la capacité des citoyennes, des citoyens et des syndicats à contester les décisions gouvernementales.

C’est précisément sur ce terrain — celui d’un virage politique inquiétant — que se déploie ce récit. Car l’histoire que nous racontons ici n’est pas celle d’une défaite annoncée.

C’est l’histoire d’une mobilisation.
D’un front commun pour la démocratie.

Parce que l’essentiel ne se joue pas uniquement à l’Assemblée nationale. Il se joue dans les gestes, les voix et les solidarités qui refusent d’abandonner l’espace public aux dérives autoritaires.

Et parmi ces voix, celle de la FQPPU s’engage à poursuivre le combat.

Table des matières

I. Retour en arrière — D’où vient le projet de loi 3 ?

Pour comprendre pourquoi le projet de loi 3 suscite une telle résistance, il faut revenir à l’essentiel : ce texte législatif transforme profondément la manière dont les syndicats peuvent s’organiser, intervenir dans l’espace public et défendre leurs membres. Sous couvert de « transparence » et de « bonne gouvernance », le gouvernement Legault introduit en réalité des mesures qui redéfinissent le rôle même des organisations syndicales — et, avec lui, l’équilibre démocratique.

La première rupture tient à la nouvelle division imposée aux cotisations syndicales. Les syndicats seraient désormais forcés de séparer chaque dollar en deux catégories — une cotisation principale et une cotisation facultative, cette dernière seule pouvant servir à financer une campagne publique, un mouvement social ou une contestation judiciaire. Les activités politiques, les démarches judiciaires ou encore la participation à des manifestations sociales seraient automatiquement classées dans cette catégorie facultative, ce qui rendrait leur financement conditionnel à une mécanique complexe et contraignante pour les membres.

Schéma du projet de loi 3 montrant la division des cotisations syndicales en cotisation principale et cotisation facultative au Québec.

Cette scission — inédite et très lourde sur le plan administratif — aurait pour effet direct de limiter les interventions publiques des syndicats, notamment leur capacité à contester des lois, même lorsque celles-ci portent atteinte à des droits fondamentaux. Le projet de loi les empêcherait d’utiliser les cotisations principales pour toute action judiciaire visant à mettre en cause la constitutionnalité de lois, règlements ou directives, créant un obstacle structurel à la défense des droits en cour et à la capacité d’agir en tant que contre-pouvoir fondamental.

C’est précisément ce que nous dénonçons : le projet de loi 3 fragilise incontestablement les contre-pouvoirs démocratiques en restreignant la capacité des syndicats à débattre, à contester, à intervenir et à défendre leurs membres. Prises isolément, certaines mesures de ce projet de loi peuvent sembler techniques ; mais prises ensemble, elles minent sérieusement notre démocratie en limitant l’action des voix critiques indispensables au débat public et, pour ce qui concerne les syndicats que nous représentons, à la mission universitaire.

Ainsi replacé dans son contexte, le projet de loi 3 n’apparaît plus seulement comme un débat technique sur des modalités financières. Il s’inscrit dans une trajectoire politique lourde : celle d’un Québec où l’espace démocratique se resserre et où les syndicats — piliers historiques de la participation civique — voient leur rôle réduit à sa plus simple expression. C’est précisément cette dérive que plusieurs acteurs, dont la FQPPU, s’efforcent de contrer.

II. Le mémoire de la FQPPU : un avertissement clair

À l’ouverture des consultations parlementaires, la FQPPU rend public son mémoire sur le projet de loi 3. Intitulé Une atteinte injustifiée à la liberté d’association et à la démocratie syndicale, ce document sonne l’alarme. Dès les premières pages, nous exposons une inquiétude fondamentale : le projet de loi ne vise pas la transparence, mais la reconfiguration du pouvoir syndical au Québec.

Le mémoire identifie d’abord une série de mécanismes inédits et inapplicables qui restreignent directement la liberté d’association. Parmi eux :

  • l’introduction d’un droit de vote accordé à des non-membres, qui rompt avec 60 ans de principes démocratiques en relations de travail (p. 5–7) ;
  • l’obligation de tenir des référendums annuels sur certaines décisions internes, créant un modèle de gouvernance parallèle au fonctionnement démocratique normal des syndicats (p. 5–7).

Nous démontrons ensuite que le cœur du projet de loi 3 — la division entre cotisation principale et cotisation facultative — repose sur des distinctions « injustifiées, imprécises et inapplicables en pratique » (p. 8–16). Ces catégories seraient si floues que les syndicats auraient peine à déterminer quelles activités peuvent être financées à partir de quel fonds, ce qui crée un risque réel de sanctions alors qu’on est dans le brouillard le plus complet quant à la manière de départager les dépenses. Cette imprécision contrevient même aux principes constitutionnels de justice fondamentale reconnus par la Cour suprême (p. 14).

Plus grave encore peut-être, notre mémoire révèle que le projet de loi créerait une série d’obstacles structurels à la contestation démocratique, en particulier dans le domaine judiciaire. L’interdiction d’utiliser la cotisation principale pour toute contestation de loi ou de règlement, même lorsqu’une autre partie soulève l’argument constitutionnel, équivaudrait à réduire les syndicats au silence dans plusieurs litiges cruciaux (p. 9–12). Cette disposition aurait empêché, par exemple, certaines interventions syndicales ayant mené à des décisions majeures sur le droit de grève, la syndicalisation ou l’équité salariale — autant de victoires fondamentales pour les travailleuses et travailleurs du Québec.

Devant l’ampleur des risques, la conclusion du mémoire est sans équivoque : la FQPPU demande le retrait du projet de loi 3, ou, à tout le moins, l’abolition de ses dispositions les plus dommageables, notamment les nouveaux articles 20.1.1, 20.3.2 et 47.0.1 à 47.0.5 du Code du travail (p. 18).

III. À Ottawa avec l’ACPPU : un front pancanadien contre le projet de loi 3

Le 29 novembre, alors que des dizaines de milliers de personnes s’apprêtent à manifester dans les rues de Montréal, un autre moment décisif se profile — cette fois-ci à Ottawa. Réunis en Conseil, les membres de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) adoptent à l’unanimité une résolution d’urgence en appui aux syndicats du Québec et en opposition au projet de loi 3. Cette prise de position met en lumière que la défense de notre démocratie syndicale et de la vitalité de nos contre-pouvoirs ne se limite pas aux frontières du Québec. Elle résonne dans l’ensemble du milieu universitaire.

Dans sa résolution, l’ACPPU dénonce d’abord une tendance inquiétante : la multiplication, au Québec, de mesures législatives visant à affaiblir l’état de droit et à restreindre l’accès aux recours judiciaires. Le texte souligne explicitement que le projet de loi 3 s’inscrit dans cette dynamique, en imposant aux syndicats des obligations qui entravent leur capacité à défendre leurs membres et à agir comme contre-pouvoir démocratique.

Membres du Conseil de l’ACPPU tenant des pancartes contre le projet de loi 3 lors de l’adoption unanime d’une résolution en appui aux syndicats du Québec.

Enfin, l’ACPPU situe le PL3 dans une dynamique plus large : une série d’attaques contre les voix critiques au Québec, notamment après le projet de loi 89 sur le droit de grève. Ces initiatives, cumulées, constituent une menace grave pour la vie démocratique et pour le rôle des syndicats dans la société.

Cette prise de position unanime crée un effet puissamment mobilisateur. Elle signale au gouvernement du Québec que sa réforme ne se déroule pas à huis clos. L’appel au retrait ou à une réécriture profonde du projet de loi 3 s’inscrit dès ce moment dans une solidarité universitaire pancanadienne.

IV. Dans la rue : un contingent universitaire dans une marée de 50 000 personnes

Le 29 novembre, lorsque la marche s’élance enfin sur le boulevard René-Lévesque, le centre-ville de Montréal devient une marée humaine. Des dizaines de milliers de personnes venues de partout au Québec convergent vers la métropole pour dire « c’est assez » face aux dérives législatives du gouvernement Legault — une mobilisation d’une ampleur rarement vue ces dernières années, portée par la colère, l’inquiétude, mais aussi par la solidarité et le souci du bien commun.

Au cœur de cette foule immense, un contingent universitaire, rassemblant des membres de la FQPPU et des allié·es, avance avec une volonté claire : défendre l’état de droit et les contre-pouvoirs indispensables à la mission universitaire.

Autour du contingent, la diversité saute aux yeux. Des familles, des étudiant·es, des travailleurs et travailleuses de tous les secteurs, des délégations régionales venues de la Côte-Nord, de l’Abitibi, de l’Outaouais, du Bas-Saint-Laurent — un Québec de tout acabit réuni pour refuser que ses institutions démocratiques soient affaiblies. On croise des poussettes, des pancartes improvisées, des visages déterminés.

Fasal Kanouté et Émile Bordeleau-Pitre de la FQPPU lors de la manifestation du 29 novembre contre le projet de loi 3 à Montréal.

Pour la FQPPU, cette présence dans la rue n’est pas que symbolique. Elle constitue la matérialisation de ce que nous affirmons depuis des semaines: le projet de loi 3 ne touche pas seulement les syndicats. Il menace un équilibre démocratique fragile, dont dépend notamment la capacité des universités à remplir leur mission d’intérêt public.

Ce moment — une marche de 50 000 personnes où les voix universitaires se mêlent à celles des travailleur·euses, des familles, de toutes les régions — marque un tournant. Il dit au gouvernement que la défense des droits fondamentaux dépasse les cercles militants et touche désormais l’ensemble de la population québécoise. Il dit aussi que la lutte contre les dérives autoritaires ne s’épuise pas dans les mémoires et les communiqués : elle se vit collectivement, pieds sur l’asphalte, au rythme d’un mouvement qui prend de l’ampleur.

V. Un gouvernement qui avance, mais un mouvement qui s’est levé (et ce n’est que le début)

À l’heure où le projet de loi 3 s’apprête à être adopté, un constat s’impose : oui, le gouvernement Legault parviendra peut-être à imposer sa réforme. Mais il ne pourra pas effacer ce que les dernières semaines ont fait émerger. Car pendant que le pouvoir garde le cap sur ses projets de loi dangereux et impopulaires, un mouvement puissant et déterminé s’est levé — et il ne retombera pas.

Ce moment politique aura produit bien plus qu’une simple contestation ponctuelle :

  • Il aura généré un dossier politique solide, alimenté par des analyses juridiques rigoureuses, des mémoires étoffés et des interventions publiques constantes.
  • Il aura contribué à forger un front syndical uni, où des organisations représentant des centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs ont parlé d’une seule voix.
  • Il aura permis la naissance d’un mouvement universitaire mobilisé, capable d’articuler clairement ce qui est en jeu pour la mission d’intérêt public des universités — et pour la démocratie elle-même.
  • Il aura enfin entraîné une prise de parole forte et assumée sur la démocratie syndicale, rappelant que la liberté d’association n’est ni accessoire ni négociable.

Autrement dit, si le gouvernement avance, il avance désormais face à un rapport de force qu’il n’avait pas anticipé : un mouvement large, transversal et résilient. Un mouvement qui, loin de s’essouffler, se structure.

Et c’est précisément là que commence la suite.

Drapeau de la FQPPU flottant lors de la manifestation du 29 novembre contre le projet de loi 3 au Québec.

Car pour la FQPPU, ce moment n’est pas la fin — c’est un point d’inflexion. Quelle que soit l’issue parlementaire, notre engagement demeure inchangé : défendre la mission universitaire, préserver la démocratie syndicale et garantir la capacité des voix critiques à jouer pleinement leur rôle dans une société libre.

Ce combat ne se limitera pas à l’arène législative. Il se poursuivra :

  • devant les tribunaux, là où les principes constitutionnels devront être réaffirmés ;
  • dans l’espace public, par l’éducation, la vigilance et l’intervention ;
  • dans les alliances syndicales, universitaires et citoyennes ;
  • dans les actions politiques futures, lorsque des gouvernements devront répondre de leurs choix.

Il s’agit d’un effort de long terme, fondé sur une conviction simple : nous ne réagissons pas seulement à une loi. Nous protégeons un droit fondamental.

La FQPPU sera au rendez-vous.

Avec ses membres.

Avec ses allié·es.

Avec toutes celles et ceux pour qui la participation citoyenne et la justice sociale ne sont pas des slogans, mais des impondérables.

Ce n’est pas la fin d’un chapitre. C’est le début d’une mobilisation durable.

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