À l’université, c’est la collégialité qui structure l’organisation du travail. Pourtant, ce pilier essentiel de nos institutions fait face à d’importantes menaces. Quels impacts sur le travail des professeur·es, sur la recherche et l’enseignement, et comment protéger un modèle de gouvernance crucial à la mission universitaire ?
Il y a dix ans, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) entreprenait une recherche-action ambitieuse en se dotant d’un Comité sur la condition professorale. Cette étude qualitative, complémentaire aux données quantitatives existantes, donnait la parole à 145 professeur·es issu·es de 10 universités québécoises, travaillant dans des disciplines variées et se situant à divers stades de leur carrière.
Une décennie plus tard, les constats de sa recherche sur les questions de collégialité et de gestion restent d’actualité. Qu’est-ce que l’idéal de la collégialité, et pourquoi est-il en péril ? Quels facteurs, influencés par des pratiques de gestion issues du secteur privé, ont contribué à son érosion ? Et surtout, comment protéger et refonder ce pilier essentiel pour l’avenir de l’enseignement et de la recherche universitaire ?
Table des matières
La collégialité, qu’est-ce que c’est ?
La collégialité, concept fondamental dans le milieu universitaire, dépasse la simple courtoisie ou la civilité. Elle constitue une pierre angulaire de la gouvernance académique, définissant la participation active du corps professoral dans les processus décisionnels qui façonnent leurs conditions de travail.
La Recommandation de l’UNESCO de 1997 sur le statut du personnel enseignant de l’enseignement supérieur définit les principes essentiels qui sous-tendent la collégialité. Elle souligne notamment l’importance de :
- L’autonomie institutionnelle, qui garantit que les établissements d’enseignement supérieur peuvent s’autogouverner en toute indépendance, à l’abri d’influences extérieures, et avec le plein engagement de leurs membres.
- La liberté académique, permettant aux professeur·es d’enseigner, de rechercher et d’exprimer librement leurs idées sans crainte de censure ou de répression.
- La participation démocratique, favorisant une gestion collective et l’intégration des membres du corps académique dans les décisions stratégiques liées à l’enseignement, la recherche et la gouvernance institutionnelle.
La collégialité s’avère donc cruciale pour préserver l’autonomie et l’intégrité des universités. Elle permet de protéger les décisions contre des influences extérieures, ce qui garantit que ces décisions émanent de l’instance qui en maîtrise le mieux les enjeux : le « collège » (d’où provient le terme « collégialité »), qui est formé des professeur·es de l’institution.
Ce modèle favorise une cogestion avec les autres parties prenantes de l’université, notamment les étudiant·es, permettant des délibérations démocratiques autour d’enjeux communs. Il assure également une responsabilité collective envers l’institution et la société, où chaque professeur·e contribue activement à l’avancement de la mission universitaire.
En soutenant la liberté académique et l’autonomie des universités, la collégialité préserve les valeurs fondamentales de l’enseignement et de la recherche. Elle permet au corps professoral de maintenir une vie démocratique au sein de l’institution, garantissant que la mission de l’université — enseigner, rechercher et servir la collectivité — reste au cœur de chaque décision.
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Ce qui érode la collégialité dans nos universités
Une série de défis fragilisent la mise en œuvre de la collégialité dans nos universités. Ces obstacles, souvent enracinés dans des dynamiques systémiques, compromettent la participation collective à la mission universitaire. Voici quelques-unes des principales menaces à la collégialité et leurs impacts néfastes dans nos institutions :
1. Un individualisme croissant
L’évolution vers un modèle axé sur la performance individuelle affaiblit l’esprit de collaboration. La compétition pour les subventions, les publications et les promotions encourage une approche centrée sur les accomplissements personnels, au détriment de l’engagement collectif. Cette dynamique, amplifiée par des pressions institutionnelles, contribue à fragmenter les liens entre collègues et à isoler les membres du corps professoral.
2. Surcharge de travail et isolement
Les responsabilités croissantes d’enseignement, de recherche et de gestion administrative laissent peu de place à la participation aux instances collectives. Le manque de temps pour les échanges informels et les délibérations affaiblit la cohésion académique. Cette surcharge, accentuée par l’augmentation des effectifs étudiants par classe, limite les occasions d’engagement dans des processus décisionnels collégiaux.
3. Hiérarchisation et bureaucratisation
Le passage à des modèles de gestion centralisée, inspirés du secteur privé, réduit l’influence des professeur·es sur les décisions clés. Les consultations se résument souvent à un exercice symbolique, avec des décisions déjà prises par des administrateur·trices éloigné·es de la réalité du terrain. Cette tendance à la hiérarchisation fragilise la cogestion et érode la confiance dans les instances dirigeantes.
4. Comportements abusifs et manipulations
Dans certaines situations, les processus collégiaux sont détournés ou manipulés, créant un climat de méfiance. Des comportements abusifs ou des stratégies visant à influencer les décisions à des fins personnelles sapent les fondements démocratiques de la collégialité. Ces pratiques isolées, bien qu’elles ne soient pas généralisées, nuisent à la dynamique collective.
5. Désintérêt pour les postes de gestion
Les fonctions de gestion, souvent perçues comme ingrates ou peu valorisées, peinent à attirer des candidat·es. Les professeur·es sont confronté·es à un choix difficile entre leur avancement personnel et l’investissement dans des rôles administratifs exigeants. Ce désintérêt affaiblit la représentativité au sein des instances décisionnelles et renforce les nominations hiérarchiques.
6. Méconnaissance des rouages institutionnels
La complexité des structures universitaires et le manque de formation sur les processus institutionnels limitent la participation effective des professeur·es. L’opacité dans la prise de décisions engendre un désengagement, renforçant la perception que les décisions se prennent sans eux, et affaiblissant leur capacité à influencer les orientations de leur établissement.
7. Consultations symboliques et perte de confiance
Lorsque les consultations semblent uniquement symboliques, les professeur·es se sentent exclu·es des processus décisionnels. La précipitation dans la prise de décisions et le manque de retour sur les avis émis alimentent une méfiance croissante. Cette perception d’une collégialité superficielle éloigne les professeur·es des débats essentiels pour l’avenir de leur institution.
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Protéger la collégialité : des pistes pour l’avenir
L’érosion de la collégialité est loin d’être une fatalité, et elle peut être restaurée et renforcée grâce à plusieurs actions coordonnées. Quelques grandes orientations pour s’assurer qu’elle reste le mode de gouvernance de nos universités :
1. Responsabilisation collective et engagement actif
La collégialité exige une participation active de tous les membres du corps professoral.
- Défendre la cogestion : réinvestir les espaces décisionnels, s’impliquer dans les assemblées, comités et conseils, contrer la désertion des réunions et refuser la délégation excessive des responsabilités.
- Valoriser l’expertise professorale : faire reconnaitre que les professeur·es se trouvent dans une position privilégiée pour orienter les décisions clés de l’université.
2. Transparence et communication
Une gouvernance efficace repose sur la transparence et des échanges constructifs.
- Rendre transparents les processus de décision : partager les informations de manière claire pour restaurer la confiance.
- Encourager des discussions ouvertes : créer un environnement où chaque voix peut s’exprimer sans crainte.
- Soutenir les nouveaux·elles professeur·es : les accompagner pour mieux comprendre les rouages institutionnels et favoriser leur engagement.
3. Défense de l’autonomie des universités et de la liberté académique
L’université doit rester un espace de savoir au service du bien commun.
- Résister à la marchandisation du savoir : lutter pour protéger l’université des influences privées et de l’adoption de pratiques de gestion calquées sur celles du secteur privé.
- Protéger la liberté académique : garantir un environnement où les idées peuvent s’exprimer librement et sans craintes de représailles.
- Soutenir la mission fondamentale : défendre la primauté du rôle premier des universités, soit la production et la diffusion du savoir critique par l’enseignement, la recherche, la création et les services à la collectivité.
4. Rôle clé des syndicats
Les syndicats jouent un rôle central dans la défense de la collégialité.
- Exercer un contre-pouvoir : veiller au respect des conventions collectives et contrer les dérives managériales.
- Négocier des changements structurels : obtenir des structures de gouvernance plus démocratiques.
- Mobiliser la communauté universitaire : renforcer l’action collective pour défendre les valeurs de l’université.
Conclusion
La collégialité est ce qui permet à l’université de demeurer un lieu de savoir critique, de débat démocratique et d’autonomie intellectuelle. Les défis qui la menacent aujourd’hui ne sont pas insurmontables, mais ils appellent une prise de conscience collective et des actions concertées.
En valorisant la participation active des professeur·es, en rétablissant la transparence des processus décisionnels et en protégeant l’autonomie des universités face aux logiques marchandes, nous pouvons refonder ce pilier essentiel. Les syndicats, tout comme les professeur·es eux-mêmes, ont un rôle clé à jouer dans cette mobilisation pour défendre un modèle qui place la mission universitaire au service du bien commun.
Restaurer la collégialité, c’est aussi préserver un espace où se vit pleinement la mission universitaire, et ce, au bénéfice de la société dans son ensemble. Ensemble, agissons pour que nos universités continuent de briller comme des lieux de réflexion, d’innovation et de collaboration intellectuelle.
En savoir plus
- Le fascicule intégral, intitulé La collégialité et la gestion : S’organiser… se faire organiser est disponible en ligne.
- The report is also available in English: Collegiality and Management: Organizing … or being organized?
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