Ramener la recherche universitaire 20 ans en arrière

Dans une lettre d’opinion parue au Devoir le 16 mars 2024, Madeleine Pastinelli met en lumière les risques du projet de loi n° 44 sur la vitalité et la diversité de la recherche au Québec.

Dans un projet de loi déposé le 7 février dernier, le gouvernement Legault entend consacrer le transfert des responsabilités en matière de recherche du ministère de l’Enseignement supérieur vers le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie. Par la même occasion, il souhaite procéder à l’abolition des trois Fonds de recherche du Québec (FRQ – Santé ; Nature et technologie ; Société et culture) pour les fusionner en un seul, nous ramenant ainsi plus de 20 ans en arrière, à l’époque du Fonds FCAR. Ces changements, qui ne répondent en rien à une demande du milieu de la recherche – aucune consultation n’ayant précédé ce projet de loi – ont de quoi faire peur.

L’usage de décrets ministériels avait certes déjà permis depuis plusieurs années d’acter le transfert des responsabilités en recherche vers le ministère de l’Économie. Or, on comprend qu’il s’agit maintenant de consacrer et de pérenniser cette prise en charge en l’inscrivant dans la loi et, par la même occasion, de mettre en place les conditions permettant de lui donner corps et de réaligner le financement public de la recherche, en revoyant la structure de gouvernance et l’actuel découpage en trois grands secteurs des Fonds de recherche du Québec. 

L’objectif est censément de « rendre la gouvernance plus cohérente », de « maximiser les synergies » pour faciliter la recherche intersectorielle et de mettre en place une structure « plus agile ». Apparemment, il s’agit surtout, d’une part, de centraliser la gouvernance avec un unique conseil d’administration, dont les deux tiers des membres seraient choisis par le gouvernement et n’auraient aucun lien avec le monde de la recherche et, d’autre part, d’uniformiser les modes de structuration et d’évaluation de la recherche d’une manière qui permettra de promouvoir plus particulièrement la recherche en fonction de ses éventuelles retombées économiques ou de son potentiel d’innovation.

Dans un projet de loi , le gouvernement Legault entend consacrer le transfert des responsabilités en matière de recherche du ministère de l’Enseignement supérieur vers le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie.

L’ambition du gouvernement rejoint en cela les orientations défendues par le scientifique en chef, qui deviendrait le PDG de l’unique Fonds de recherche, en plus de voir ses responsabilités s’élargir substantiellement. En effet, le scientifique en chef aurait désormais à intervenir pour conseiller l’ensemble des membres du Conseil exécutif sur « toute question scientifique ». Cela fait beaucoup pour une seule tête et ne manque pas d’étonner, dans la mesure où son mode de nomination ne permet pas d’assurer son indépendance (comme c’est le cas par exemple pour le vérificateur général ou le directeur général des élections). Le scientifique en chef deviendrait aussi responsable de « favoriser le rapprochement entre la science et la société et le maintien d’une éthique et d’une conduite responsable en recherche ». Si l’on ne peut être contre la vertu, qu’on lui donne de telles responsabilités dans un projet de loi qui ne fait nulle part mention de l’importance de l’autonomie des universités et de la liberté académique en milieu universitaire apparait comme extrêmement préoccupant.

L’abolition des trois Fonds distincts serait un recul dramatique pour nombre de disciplines pour lesquelles leur création avait constitué une réelle avancée, parce qu’elle avait permis de tenir compte des spécificités de chaque grand secteur quant aux manières de structurer la recherche, de l’évaluer et de la valoriser, favorisant un fonctionnement nettement mieux adapté à leur réalité. On peut donc aujourd’hui avoir toutes les raisons de craindre que l’uniformisation sur laquelle débouchera la fusion des Fonds va consister à imposer aux secteurs qui ne sont pas en position dominante – notamment celui des arts et lettres et des sciences humaines et sociales – des manières de faire et de structurer la recherche qui sont celles d’autres secteurs et qui ne leur conviennent pas du tout.

L’abolition des trois Fonds distincts serait un recul dramatique pour nombre de disciplines pour lesquelles leur création avait constitué une réelle avancée.

Le gouvernement a assuré avec son projet de loi que « [l]a recherche disciplinaire et multidisciplinaire par secteur, avec ses traditions, ses approches et ses méthodologies, continuera à se développer, et les budgets sectoriels seront préservés ». Cependant, rien dans le projet de loi ne permet de le garantir. Quelle valeur doit-on accorder à cette promesse ? Et surtout : pourquoi se fatiguerait-on à tout restructurer, si l’objectif était véritablement de ne rien changer ?

Finalement, l’intention de « maximiser des synergies entre domaines » et de favoriser la recherche intersectorielle est alarmante pour l’avenir de la recherche fondamentale, de même que pour toutes les démarches qui, pour une raison ou une autre, ne seraient pas dans l’intérêt du gouvernement. En effet, la recherche intersectorielle ainsi visée, ce sera vraisemblablement celle qui se trouve au cœur de la Stratégie québécoise de recherche et d’investissement et d’innovation (SQRI2) et qui cible spécifiquement les domaines dont on peut espérer des retombées économiques, des innovations ou qui répondent directement à ce que sont les défis de société de l’heure pour le gouvernement. Quel soutien financier restera-t-il pour la recherche fondamentale nécessaire à l’avancement des connaissances, pour les démarches critiques qui sont si importantes pour le bon fonctionnement d’une société démocratique et pour toutes les recherches dont nous aurons besoin pour répondre aux défis de demain, qu’on ne peut prédire aujourd’hui ? Que le gouvernement souhaite financer des recherches intersectorielles en lien avec de grands défis de société pourrait être une très bonne nouvelle s’il ne s’agissait pas de jeter le bébé avec l’eau du bain en nous ramenant plus de 20 ans en arrière et en mettant en place une structure qui menace l’avenir de la recherche dans une multitude de domaines d’études. Le monde universitaire – et la société québécoise – méritent beaucoup mieux qu’un projet de loi qui met en danger la recherche libre et indépendante.

En savoir plus

Restez à jour

Abonnez-vous à l’infolettre de la Fédération.